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2013 : Colloque International 

Thème : Localisation et réinvention de la téléphonie mobile : approches méthodologiques et théoriques.

téléphonie
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Actes publiés : Quand l'Afrique réinvente la téléphonie mobile (2015).

Téléphonie Quand l'Afrique réinvente la téléphonie mobile s'ouvre par une reconnaissance du caractère indispensable du téléphone mobile (p. 9). Les Africains seraient le mieux adaptés à la technologie médiatique par la réappropriation du téléphone mobile. D'ailleurs, au milieu des années 2010, « le téléphone portable s'est immiscé dans toutes les activités humaines, qu'elles soient privées, publiques, à but lucratif ou non » (p. 135). Telle est la trame qui traverse cet ouvrage.

À travers la téléphonie mobile, les technologies – une chance pour l'Afrique (p. 221) – connaissent une grande réussite et bouleversent nombre de pratiques en Afrique (p. 129). C'est « le miracle, la grande réussite de l'Afrique » (Annie Chéneau-Loquay, « L'Afrique au seuil de la révolution des télécommunications. Les grandes tendances de la diffusion des tic », Afrique contemporaine. La revue de l'Afrique 'Afrique'Afrique et du développement, 234, 2010, p.9). Exception, avancée technologique extraordinaire, progression spectaculaire sur le continent africain, le « service mobile connaît une croissance soutenue » (p. 55). Source de création d'emplois directs et indirects, les opérateurs sont désormais parmi les premiers contributeurs fiscaux (p. 69).

Outil de reliance, de mise en visibilité, de connexion, de liberté individuelle, d'expression collective, de mise en perspective, de mise en valeur, le téléphone mobile apparaît aussi comme un objet rituel. Patrick Saerens (pp. 18-28) examine la téléphonie mobile comme une révolution industrielle allant au-delà des technologies de l'information et de la communication (tic). Par ses multiples usages, le téléphone mobile est plus exploité en Afrique que dans certains pays dits « développé » (pp. 24-26, 40-41) et l'Afrique de l'Est (Ouganda, Kenya, Tanzanie, p. 20 ) dispose même d'une avance réelle en matière de roaming (« itinérance ») international – possibilité pour les abonnés d'un réseau de téléphonie mobile d'utiliser leurs services via les réseaux d'autres opérateurs avec ou sans surcoût –, notamment grâce à la mise en œuvre d'accords entre opérateurs.

Par la démocratisation de ce secteur, le téléphone mobile s'imbrique librement dans des domaines inattendus tels que les nouvelles formes d'économie (formelle et informelle), l'orientation de la concurrence, le suivi académique des apprenants, la supervision des entreprises et la régulation des sociabilités. Son utilisation atteste du dépassement du stade de simple objet technologique vers celui d'objet socio-économique. Dispositif caméléon, il s'adapte à tous les contextes au point de devenir une solution potentielle pour de nombreux secteurs de la société. Sur le plan politique, au Kenya comme au Ghana, les électeurs peuvent contrôler eux-mêmes le processus électoral. Dans ce sens, le cas kenyan « a été salué par l'Organisation des Nations Unies comme un exemple de « e-démocratie » » (pp. 11). Sur le plan économique, dans un contexte de désenclavement, de manque d'infrastructures de transport, les opérateurs économiques créent un entrepreneuriat mobile. Le m-banking, l'e-banking (p. 203) et le marketing mobile (ou m-advertising, pp. 186-188, 232) facilitent les transactions des opérateurs. Comme le montre Julien LM Adhépeau (pp. 186-189), par la publicité sans fil et le m-crowd-funding (p. 12), le mobile Advertising et le m-commerce (p. 11) augmente la rentabilité en entreprise . Ainsi l'auteur constate-t-il que, avec le mobile, on assiste « au triomphe non pas de l'oralité, mais au contraire de l'écriture de l'idéogramme, c'est-à-dire de cette forme d « Écrire qui ne copie pas la voix, mais dessiner les choses et les pensées » (p. 186). Dans le marketing virtuel, sms et mms enregistrent des résultats plus de cinq fois supérieurs aux autres moyens de communication commerciale.

La contribution d'Edem CM Amah (pp. 222-228) transporte le lecteur dans le port de Lomé pour naviguer dans l'espace halieutique, dorénavant submergé par les multiples usages de la téléphonie mobile. En effet, 98 % des marchands halieutiques font désormais usage de cet outil de communication polyvalent. Dans ce secteur commercial caractérisé par la course à la montre, la démocratisation de la technologie mobile a permis aux marchands de produits halieutiques une triple économie temps-énergie-argent. De façon générale, le téléphone mobile s'érige, pour les acteurs du secteur informel, en moyen technique de communication à distance efficace (p. 230) avec par exemple la mise en place de cabines de téléphone mobile. Ces dernières procurent des emplois peu décents, activités transitoires et temporaires (Raymond Kra, pp. 205-210).

Mais le secteur formel n'est pas en reste. Par exemple, Marina Mboumba et Françoise Paquienséguy (pp. 167-181) montrent que l'industrie pétrolière gabonaise exploite cet outil en vue d'améliorer sa production. Pour une communication interne, une interaction continue, un suivi permanent, une plus grande réactivité dans les interventions, une de la productivité, une facilité organisationnelle, cet objet à forte valeur symbolique demeure le « complément indispensable de l'organisation » (p. 174). ). De cette façon, l'entreprise multi-site résout les problèmes d'éloignement, d'enclavement géographique, de supervision, d'anticipation des mouvements professionnels entre les sites et le réseau des partenaires.

Dans le cadre de l'éducation aussi, élèves, étudiants, enseignants, administration des établissements (secondaires et universitaires) et parents se servent du même outil pour interagir, s'informer, collaborer, communiquer ou obtenir des résultats. Pour preuve, Issa Boro (pp. 98-102) examine le cas de l'université de Ouagadougou et Dimitri Regis Balima (pp. 138-140) explore l'intermédiarité du téléphone mobile au sein des établissements secondaires au Burkina Faso. L'internétisation du portable en zone rurale par les universitaires camerounais est également liée à l'université de Yaoundé 2 qui conduit Samuel Tietse (153-158), devant l'appropriation innovante de l'objet par les étudiants à des fins académiques, pédagogiques et professionnels, considérez que le téléphone mobile est devenu une extension corporelle.

Certes, l'utilité de la téléphonie mobile n'est plus à démontrer. Pourtant, il existe des dérives : marges bénéficiaires déraisonnables, de l'ordre de 500 à 3 000 %, perte de temps due à la surutilisation par les jeunes, budget élevé des communications dans un contexte de pauvreté, investissement dans les objets de luxe, obsession d'être à la mode, incidence sur la santé, fraude aux examens, diffusion des informations privées, etc. Le secteur mobile est dépourvu de législation adaptée pour sanctionner les délits tels la cybercriminalité ou l'atteinte à la vie privée. En l'absence de législation, quelques opérateurs violent le principe de la libre concurrence. Ces multinationales téléphoniques ne s'enrichissent-elles aux dépens des consommateurs ? Comment comprendre cette surconsommation, ce développement des tic tandis que d'autres domaines peinent à évoluer ? Ce questionnement ressort de l'analyse de Hachimi Abba (pp. 51-68) mais seul Traoré C. Oumar (pp. 235-243) mentionne clairement et précisément, avec détails et illustrations, l'appauvrissement des populations par la téléphonie mobile ( p.235). Les autres contributions abordent peu ou prou les aspects négatifs. La télédensité – le rapport entre nombre de lignes téléphoniques et nombre d'habitants – reste très faible en Afrique. Les abonnés de téléphones fixes stagnent, tandis que ceux de la téléphonie mobile explosent (p. 53). Les zones rurales sont défavorisées en matière d'infrastructures téléphoniques. La satisfaction des consommateurs et des usagers doit être améliorée. Le manque de diversification et d'innovation dans les offres évoquées par Alain Capo-Chichi (pp. 69-77) pour le cas du Bénin est généralisable à toute l'Afrique.

N'Guessan Julien Atchoua (pp. 29-50) scrute le génie créateur des gangs du monde virtuel « broutant » sous l'anonymat des tic pour affirmer que, en Côte d'Ivoire, la « cybercriminalité est devenue, dans l'espace d'une dizaine d'années, une industrie du crime numérique et économique véritable » (p. 45). On observe un déplacement des frontières des crimes, ceux-ci ne se limitant plus aux espaces physiques, mais ayant aussi intégré les espaces numériques. Par les pratiques de cybercriminalité, les acteurs développent une ingénierie induisant l'insécurité électronique et économique dans un contexte de « véritable misère sociale » (pp. 89-90).

La transmission et la consommation des messages de dérision et d'humour se présentent comme une catharsis collective. Les sms sont utilisés pour se défouler, parler de façon comique de la crise et de ses acteurs (p. 80), se moquer du bourreau, aborder une situation tragique par la satire, l'humour, la moquerie. Ainsi Eri A. Pale Titi (pp. 78-91) établit-il l'abréviation des messages comme invention langagière embrasant l'univers comique ivoirien. Le champ lexical est constitué des codes énoncés, des énumérations métaphoriques, des comparaisons, du langage subliminal, d'un mélange de lyrisme et d'épopée. Les sms dérisoires illustrent la juxtaposition de la dérision au dispositif technologique. L'humoriste médiatique, acteur dans la diffusion, use de satire, d'humour. On n'aurait pas imaginé que la téléphonie s'intégrerait dans la « détente ironique en période de crise » (p. 90). De même, il aurait été difficile de présager un endettement des jeunes en raison de l'achat d'objets de luxe et d'une technologie de pointe.

Boua PS Akregbou (pp. 107-127) analyse cette réalité enregistrée chez les jeunes Abidjanais en Côte d'Ivoire. Pour eux, objet d'apparat, le téléphone mobile construit leur identité, exprime leur personnalité, leur statut, conforte leur position sociale, montre leur supériorité, influence leurs amies, leur permet de se distinguer de l'autre, de se démarquer, de se faire remarquer, de se sentir exceptionnel ou encore d'avoir la fierté, le sentiment de domination, l'ascendance sur les autres, une bonne aura, une haute estime de soi, une position de pouvoir. Quel que soit son niveau social, un jeune y possède entre un et quatre téléphones, mais aussi, une ou plusieurs puces. Unité de mesure sociale, la valeur du téléphone sert à jauger, apprécier, évaluer, estimer un acteur. Cette consommation ostentatoire du mobile doit questionner.

En Afrique, tous les tic allant dans le sens du prolongement de l'oralité rencontrent un engouement important (p. 131). Dans ce continent dominé par l'oralité, cet objet augure un changement de paradigme du fait de son adaptation rapide à la presque totalité des domaines et de son expansion fulgurante. Les conditions de ce tournant conservant la volonté d'étendre à tous les secteurs de la société cette ingéniosité appliquée à la téléphonie mobile. Comment la démocratisation ne transcende-t-elle pas tous les domaines de la société ? Comment expliquer cette ingéniosité pour l'exploitation de la téléphonie mobile ? Pourquoi l'entrepreneuriat mobile africain ne se répercute-t-il pas dans les autres secteurs d'activité ? Qu'est-ce qui explique que les Africains sont de simples consommateurs ? Répondre à ces questions est un défi que l'Afrique doit relever pour s'inscrire dans l'ère de la réinvention.

Paris, Éd. L'Harmattan, coll. Études africaines, 2015,259 pages

Sariette Batibonak et Abia Batibonak

  1. 448-451



Référence(s) :

Alain Kiyindou, Kouméalo Anaté, Alain Capo-Chichi, dirs, Quand l'Afrique réinvente la téléphonie mobile, Paris, Éd. L'Harmattan, coll. Études africaines, 2015, 259 pages

Livre disponible sur ce lien : Edition L'Harmattan